Virginie Otth | Photographe

Elliptique

Nyon, ancien lavoir

2015

Projet pour le Prix d’art intégré dans l’espace public – Ville de Nyon-2015

Le lieu:

ancien lavoir de la ville de Nyon, juste au-dessous de la place romaine, une voûte comme un espace de projection mentale. Je le considère et le choisis pour ses qualités spatiales et théâtrale plutôt que pour sa fonction sociale initiale. Un espace un peu protégé, hors du temps.

Cette incroyable hauteur ressemble à une scène, à une grotte. Quand le soleil arrive à y pénétrer, l’eau du lavoir produit parfois des projections qui scintillent sur les vieux murs arrondis.

Cette caverne propose une perspective propice aux jeux des deux et trois dimensions, aux projections d’ombres et de lumières.

Je le considère comme un espace de fuite, un lieu un peu magique.

Cette installation est composée:

Les outils de la perception:

Ce travail propose une petite expérimentation de de notre conscience visuelle, une image déployée dans l’espace, une mise en lumières de la caverne, un kit poétique de certains outils du regard.

Tout part, d’abord d’une photographie, la perception d’un lieu par l’appareil optique, la mise en deux dimensions de l’espace. La photographie permet de fixer un lieu, un moment, une lumière. Cette fixité de l’image permet le temps d’une réflexion.

L’image confrontée au réel pose immédiatement la question de la représentation. Qu’est-ce que l’image donne-elle à voir, comparé à ce que je regarde, comment je le regarde. Dans un système de tautologie, on cherche la différence entre notre perception et celle de la photographie.

Nos yeux comme les appareils photographiques sont fabriqués de toutes sortes d’outils optiques, mais notre cerveau recompose une immense partie des images qui arrivent dans notre cerveau par le nerf optique.

Evidemment, dans un premier temps, il renverse ou remet l’image à l’endroit.

J’ai besoin de cette photographie qui se confronte au réel en noir et blanc et à l’envers, comme

un commentaire à l’installation, comme un titre qui orienterait vers un questionnement sur notre perception visuelle.

Les miroirs une lentille, une couleur: une dissection des outils du regard.

Ce mobile est composé d’objets réflexifs, littéralement, d’objets qui transforment, reflètent, color- ent l’espace qui l’entoure. Des objets qui proposent une image, une image qui bouge légèrement, des images qui tournent sur elles-mêmes.

En l’occurrence, les images sont des lumières et des ombres produites par ces objets suspendus. Cela peut faire référence aux trompe-l’œil du studiolo de la renaissance à Urbino –, laboratoire où, en définitive, notre conception de la réalité est mise à l’épreuve du regard.

L’ovale correspond à notre champ visuel, celui de nos deux yeux, ce n’est ni un carré, ni un rectangle et difficilement un cadre.

La lentille et le miroir ne sont pas accrochés dans le même axe, dans cette idée que nous avons deux yeux, deux visions latérales qui se juxtaposent en leurs centres. Une perception stéréoscopique à laquelle on s’est terriblement habituée.

Voici ce qu’en dit Maurice Merlau-Ponty.

« La perception binoculaire n’est pas faite de deux perceptions monoculaires surmontées, elle

est d’un autre ordre. Les images monoculaires ne sont pas au même sens où est la chose perçue avec les deux yeux. Ce sont des fantômes et elle est le réel, ce sont des pré-choses et elle est la chose: elles s’évanouissent quand nous passons à la vision normale et rentrent dans la chose comme dans leur vérité de plein jour.(...) Les images monoculaires ne peuvent pas être comparées à la perception synergique: on ne peut les mettre côte à côte, il faut choisir entre la chose et les pré-choses flottantes. On peut effectuer le passage en regardant, en s’éveillant au monde on ne peut pas y assister en spectateur. Ce n’est pas une synthèse, c’est une métamorphose par laquelle les apparences sont instantanément destituées d’une valeur qu’elles ne devaient qu’à l’absence d’une vraie perception. Ainsi la perception nous fait assister à ce miracle d’une totalité qui dépasse ce qu’on croit être ses conditions lus ses parties, qui les tient de loin en son pouvoir, comme si elles n’existaient que sur son seuil et étaient destinées à se perdre en elle. (...)

Tout se passe comme si mon pouvoir d’accéder au monde et celui de me retrancher dans les fan- tasmes n’allaient pas l’un sans l’autre.(...)

Le monde est cela que je perçois, mais sa proximité absolue, dès qu’on l’examine et l’exprime, devient aussi, inexplicablement, distance irrémédiable. »

Maurice Merleau-Ponty, « Le Visible et l’invisible », Paris, Editions Gallimard, 1964, p. 22-23