Titre de la pièce :
Multiple / désirs
Description de la pièce :
Principe: une association d’impressions photographiques, collées sur aluminium, disposées parfois les unes sur
les autres sur une liste en bois.
Chaque image est indépendante, on peut imaginer que sa positions dans la composition pourrait se modifier
indéfiniment.
Nombres d’images :
26 images, de dimensions variant de 25 cm à 200 cm.
Dimension de la pièce globale :
La totalité de la pièce mesure de 9 mètres de large 2mètres de haut depuis la liste
Inspiration instinctive de l’être à combler le sentiment d’un manque, d’une incomplétude.
Illusion du désir,
Désir de l’illusion.
Multiple/désirs
« Le plaisir imaginé s’appelle désir » (Paul Ricoeur)
L’imagination est une faculté intellectuelle qui combine de façon aléatoire ou arrangé des images ou des idées.
Elle permet un accès à une lecture idéalisée du réel,
Selon Schopenhauer, le désir est la manifestation d’une force aveugle qui anime tout ce qui existe (minéraux, animaux, hommes).
Cette force, Schopenhauer la nomme « le vouloir-vivre »
Ce que l’on perçoit d’un seul regard, c’est tellement peu. Je crois voir ou regarder, je distingue à peine. Nous évoluons dans une image composite réalisée par des choix successifs. Nos neurones, nos neurotransmetteurs font des choix constamment pour savoir quel point regarder, quel détail conserver. Le champ de vision est large, mais la scène est floue.
L’image n’est ni plane, ni fixe. La vue d’ensemble est « une illusion que l’on renégocie sans cesse.
La vue d’un détail peut être très précise, mais très rapide. Ces choix se font pour des raison de besoins, d’envie et la plupart de ces choix ne sont pas conscients ; une attention automatique ou spontanée. C’est pourquoi voir ou regarder peut devenir une attention volontaire, curieuse d’élargir peut-être une préconception de ce qui est perçu par défaut, pour la survie, l’efficacité de notre fonctionnement.
Vu qu’on ne voit que très peu, ce qu’on ne voit pas doit être évalué, imaginé, reconstitué par notre cerveau. Bien sûr, seulement si ce qu’on ne voit pas est nécessaire à la compréhension de ce que l’on aimerait voir. Il y a cet invisible, qu’il est nécessaire de combler par l’imagination ou la préconception, pour comprendre le visible. Il y a l’invisible qui se transforme par des connections qui évoluent continuellement. Il y a cet invisible au potentiel de mystère qui permet de douter ou de transformer le visible, notre regard. Il y a la possibilité de contraindre le regard, de choisir l’absurde ou la poésie plutôt que l’utilitaire. Peut-être.
L’Histoire de l’oeil de Georges Bataille et ses analogies savoureuses de l’œil avec le sexe.
«la double fente de l’oeil et du sexe de l’autre». C’est une analogie qui est souvent faite en image, on pourrait imaginer que les images sont toutes des phallus dominants désirants pénétrer dans l’œil par plaisir ou par force.
Je/la photographe est une femme de 50 ans qui regarde/photographie les hommes qu’elle aime. Ce n’est pas un documentaire sur le/les désir·s, c’est un regard subjectif, amoureux ou intéressé. Un regard référencé, beaucoup par la peinture, par l’histoire du regard des peintres (hommes) sur les modèles (femmes) ; aussi, un peu, par celui des hommes sur les hommes. Je regarde ces hommes avec tendresse, mais je suis aussi une esthète. C’est prendre le pouvoir que d’objectifier ainsi le corps de l’autre, de désirer, un appareil à la main. Je cherche à aimer des formes, un grain de peau, mais c’est le punctum qui rend un corps attirant et il n’a rien à voir avec la perfection. Cette pièce n’est pas une proposition inclusive, mais présente une perception personnelle du désir, un fantasme, une illusion érotique : un multiple / désirs.
Cette idée que l’oeil soit un trou, un diaphragme fluctuant et mouillé qui accueille plus ou moins affectivement les images du monde me paraît être une jolie métaphore féminine. J’imagine que beaucoup d’artistes visuels souffrent de pulsions scopiques : la recherche du plaisir par la mise en scène du regard, entre le «regarder» et «être regardé». Bien sûr la pupille est un trou qui se dilate en fonction de la lumière, mais il y a cette idée que ce trou est noir alors que le fond de l’œil est rose.
« L’orifice situé au centre de l’iris — la pupille — est d’apparence noire et, normalement il nous est impossible de voir au travers de celle-ci, l’intérieur de l’œil d’une autre
personne. Cela demande quelques explications car la rétine n’est pas noire, mais rose. Il est en effet curieux que bien que nous voyions par nos pupilles, nous ne puissions voir dans la pupille d’un autre. La raison en est qu’avec l’œil centré sur celui d’une autre personne, l’œil et la tête de l’observateur se trouvant sur la trajectoire de la lumière, précisément là où elle est nécessaire pour voir la rétine de l’autre. »
Ce trou noir généré par l’observateur et sa position inévitable devant les yeux de l’autre est un joli paradoxe et je ne suis pas sure qu’il y aurait autant de textes graves et beaux sur la profondeur de l’âme que l’on peut apercevoir dans les yeux si on voyait le rose de la rétine dans cet orifice.
Le fait qu’une partie de l’image soit cachée suscite aussi la frustration de ne pas tout savoir et du coup l’imagination complète, invente, imagine quelque chose de parfois beaucoup plus fou, beaucoup plus désirable que ce qui est.
Cet autre trou du regard qui est notre tâche aveugle, ce scotome, cette béance, cette censure, sont autant de mots et de notions qui stimulent l’imaginaire. Cette absence que le cerveau reconstitue est un mystère irrésolu, et cette absence suscite le désir, le désir de voir, de regarder.
- Virginie Otth